Vu de l’extérieur cela ressemble à une énigme sans réponse. Comment la Tunisie, qui est le berceau du Printemps arabe, le pays le plus démocratique d’Afrique du Nord et qui a l’un des meilleurs systèmes éducatifs de la région, peut-être le premier foyer au monde de combattants étrangers qui partent rejoindre les rangs du groupe terroriste Etat islamique en Syrie et en Irak?
C’est la question à laquelle a voulu répondre le média américain The Wall Street Journal, qui rappelle qu’entre 6 et 7.000 Tunisiens ont rejoint les rangs de l’EI, et que 15.000 autres ont été interdits de voyage à l’étranger par les autorités tunisiennes qui craignent de les voir faire le même chemin.
«Pourquoi avons-nous des personnes éduquées et avec du travail qui vont rejoindre l’EI?», s’interroge Moncef Marzouki, président de la Tunisie de 2011 à 2014 dans un entretien accordé au Wall Street Journal. «Ce n’est pas toute la solution de s’attaquer aux problèmes socio-économiques. Il faut creuser plus profond pour comprendre que ces gens ont un rêve; mais nous ne le faisons pas. Notre rêve est le Printemps arabe (…) Mais les jeunes ont besoin d’un rêve concret, et le seul disponible maintenant c’est le califat», dit-il.
Mais pour de nombreux Tunisiens, il existe une explication affirme le Wall Street Journal. D’abord, la position ambiguë du pouvoir vis-à-vis des milieux islamistes dans le pays. Après la révolution de 2011, une amnistie avait notamment ordonné la libération de djihadistes et le retour de d’autres d’exil.
L’autre grande explication, même si Moncef Marzouki la balaye d’un revers de main, est le chômage de masse qui touche la population et particulièrement les jeunes qui se sentent excluent de la société et ne se voient aucun avenir. Avec la révolution, beaucoup de jeunes Tunisiens «pensaient qu’un monde meilleur était enfin possible dans leur pays. Aujourd’hui, leur désillusion est totale. Pour l’immense majorité d’entre eux, rien n’a changé», expliquait il y a quelques mois la politologue tunisienne Olfa Lamloum. «Ils sont toujours au chômage, sans couverture sociale, exclus de la scène politique officielle, confrontés à la corruption de l’administration et souvent victimes de la violence policière», ajoute t-elle.
À Kasserine, berceau de la révolution, et dans d’autres villes rurales du centre du pays, des manifestations contre l’incurie de l’Etat sont très régulièrement organisées.