« Nous aurions dû nous en tenir à la résolution des Nations unies. Mais nous sommes allés bien au-delà. Ce fut une erreur d’analyse. » Tenus le 13 juillet à Paris, lors de la présentation de son « Programme pour la France » à la presse, ces propos de l’ancien premier ministre français François Fillon sur la Libye ont valeur de mea culpa
. C’est la toute première fois qu’un responsable français de ce niveau admet aussi clairement que l’ancien premier ministre britannique, David Cameron, et l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, ont détourné la résolution 1970 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée en février 2011.
Même tardif, l’aveu de François Fillon conforte le constat qui avait été fait en son temps par des ONG et des intellectuels français et africains.
Comme s’il était affranchi de toute réserve, l’ancien premier ministre français a d’ailleurs reconnu que l’intervention militaire des deux pays en Libye a été un désastre. « Quand on détruit un Etat, on arrive bien entendu au chaos, a-t-il encore déclaré. Après la destruction, il faut passer à la reconstruction
A regarder de près le contenu de la résolution, la déclaration de M. Fillon, si elle est inédite, n’a rien de révolutionnaire ; elle traduit fidèlement l’esprit et la lettre de la résolution votée par dix des quinze membres du Conseil de sécurité des Nations unies, dont le Nigeria et l’Afrique du Sud.
En son paragraphe 4, la résolution « autorise les Etats Membres qui ont adressé au secrétaire général une notification à cet effet et agissent à titre national ou dans le cadre d’organismes ou d’arrangements régionaux et en coopération avec le secrétaire général, à prendre toutes mesures nécessaires, nonobstant le paragraphe 9 de la résolution 1970 (2011), pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi ».
Plus loin, le texte ajoute : « Tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen, et prie les Etats membres concernés d’informer immédiatement le secrétaire général des mesures qu’ils auront prises en vertu des pouvoirs qu’ils tirent du présent paragraphe et qui seront immédiatement portées à l’attention du Conseil de sécurité. »
La résolution avait décidé enfin « d’interdire tous vols dans l’espace aérien de la Jamahiriya arabe libyenne afin d’aider à protéger les civils ».
On connaît la suite réservée au texte onusien : le dictateur libyen a été tué, mais le pays a plongé dans le chaos duquel il peine aujourd’hui encore à s’extraire, faute d’avoir associé intervention militaire et projet politique.
Les « La vérité, c’est que nous avons été pris de court par la révolution tunisienne ; nous n’avons pas vu venir la colère populaire », a poursuivi François Fillon.
Derrière cette sincérité, à première vue réelle, de l’ancien premier ministre pointe sa volonté de se démarquer de la gestion de la crise libyenne de 2011 par le président Nicolas Sarkozy, devenu son rival à la primaire des Républicains et du centre pour la présidentielle de 2017.
On savait en effet que ce dossier-là avait été directement géré à l’Elysée par M. Sarkozy et ses conseillers. Mais on ignorait cependant que M. Fillon n’avait pas alors eu voix au chapitre. En tout cas, pas au point de continuer à se sentir solidaire de la position prise en 2011 par le président français.
On savait aussi que le philosophe et essayiste Bernard-Henri Lévy avait pesé de tout son poids auprès de M. Sarkozy pour obtenir l’intervention en Libye. Son implication ouverte dans la crise libyenne avait du reste suscité les agacements plus ou moins publics du ministre des affaires étrangères de l’époque, Bernard Kouchner. Autant M. Lévy avait donné de la voix dans les médias, pris part à des manifestations pour justifier l’intervention franco-britannique, autant il joue désormais aux abonnés absents dans la recherche d’une solution de sortie du chaos libyen. A la décharge du philosophe, certains avancent le changement de locataire à l’Elysée, estimant qu’il n’est pas sûr qu’il trouve à présent la même oreille attentive. Surtout pas après le désastre créé par l’intervention franco-britannique en Libye et dans toute la bande sahélo-sahari
« La France ne peut plus intervenir militairement toute seule dans un pays étranger. En d’autres temps, ça s’appelait la colonisation. » Echaudé, sans doute, par l’échec de l’engagement militaire franco-britannique en Libye, M. Fillon, député Les Républicains à l’Assemblée nationale, s’est ainsi démarqué des interventions militaires françaises récentes à l’étranger. Celles-là même qui ont donné à
A en juger donc par le discours qu’il a tenu lors de sa présentation à la presse, l’ancien premier ministre n’aurait pas, s’il avait été aux affaires, décidé des opérations extérieures telles que « Serval » au Mali, « Sangaris » en Centrafrique et même « Barkhane » au Sahel.
Sur les affaires africaines de façon générale, l’ancien premier ministre défend une doctrine qui ressemble à bien des égards au principe de « ni indifférence, ni ingérence » esquissé entre 1999 et 2002 par le gouvernement de Lionel Jospin. Au demeurant, c’était en vertu de ce principe que la France s’était abstenue d’intervenir en Côte d’Ivoire en décembre 1999, lors du coup d’Etat militaire qui avait renversé le président Henri Konan Bédié.
Reste à savoir si, en se démarquant de Nicolas Sarkozy sur la Libye, en prônant le principe de « c’est aux Africains d’être en première ligne dans la gestion de leurs problèmes », François Fillon fera la différence avec Nicolas Sarkozy et Alain Juppé auprès des électeurs des Républicains de Côte d’Ivoire, du Gabon, du Sénégal, du Cameroun et du Congo lors de la primaire de son parti, en novembre.