SP: A peine deux semaines après votre investiture fin décembre, le Burkina Faso était touché à son tour par le terrorisme. Le 15 janvier, les djihadistes appartenant au groupe Al-Qaïda au Mahgreb Islamique frappaient le coeur de Ougadougou, tuant 30 personnes.
Monsieur le Président le pays se relève t-il facilement de cette attaque ?
RK: Je dois dire que grâce à toute la solidarité que nous avons eue des pays amis, voisins, le Burkina Fasso s’est vite relevé. Nous avons décidé de ne pas plier l‘échine devant un tel événement parce que nous pensons qu’il est important que nous sachions désormais que nous devons vivre avec cette contrainte-là, et que nous devons prendre toutes les dispositions pour faire en sorte de barrer la route au terrorisme dans notre pays. Comme nous l’avons si bien souligné, il y a deux aspects dedans, non seulement nous devons les combattre sur le terrain, mais également, nous devons poursuivre le développement économique de notre pays puisque c’est sur le terreau de la misère et de la pauvreté que les recrutements des djihadistes sont faits.
SP: Cette attaque a t-elle changé quelque chose dans la société Burkinabé ?
RK: Forcément cela a changé quelque chose dans le comportement des citoyens: beaucoup plus de vigilance, beaucoup plus d’attention, beaucoup plus également de forces de sécurité sur les points vitaux de notre pays pour assurer la quiétude des citoyens.
SP: Quels sont aujourd’hui les moyens dont dispose le Burkina pour lutter contre la porosité des frontières et l’entrée de djihadistes notamment en provenance du Mali par exemple ?
RK: Les moyens dont nous disposons aujourd’hui c’est la collaboration entre les forces de sécurité des défenses du Mali et Burkina Faso. Nous avons décidé, évidemment de faire des patrouilles mixtes, mais vous savez c’est sur 1 000 km et je crois que, avec la France, il y a des dispositifs qui seront pris justement pour pouvoir faire en sorte que nous puissions assurer la sécurité des frontières et des différents pays de l’Afrique de l’ouest.
SP: La France a annoncé le déploiement de gendarmes sur le sol du Burkina, sans en avertir les autorités du pays, vous en l’occurence Monsieur le Président. Vous avez d’ailleurs fait part de votre mécontentement à Paris, dès l’annonce du ministre français de l’Intérieur… quel est votre regard sur le rôle et l’engagement des forces françaises à l’intérieur des frontières burkinabées et en Afrique de l’Ouest ?
RK: De notre part, d’abord je voudrai lever l‘équivoque, il ne s’agissait pas dans la réalité d’un déploiement du GIGN mais c’est de l’envoi de deux gendarmes du GIGN en terme d’appui à la formation et au renseignement au Burkina Faso. Nous avons clarifié cette question avec Monsieur Cazeneuve que nous avons rencontré et nous n’avons pas manqué encore une fois de faire part de notre mécontentement sur, je dirai, cette erreur dans les éléments de langage qui ont été utilisés.
Le second point, vous savez très bien que il y a une force qui est disposée à Ouagadougou, qui est une force d’intervention sous régionale qui intervient au Mali, au Niger, le cas échéant dans les autres pays, et pour nous ce n’est pas essentiellement une force qui est basée pour le Burkina Faso. Et à ce titre-là, évidemment nous considérons que ces forces françaises, qui ont certainement beaucoup plus d’expérience dans ce combat, dans cette lutte contre le terrorisme, peut aider dans un premier temps nos armées à mieux se structurer, à mieux s’organiser pour faire face à cela. Parce que, à terme, il faudrait bien sûr que nous puissions assurer nous-même notre propre sécurité et ne pas compter notamment sur les forces françaises pour le faire.
SP: Nombre de Burkinabés pensent que c’est la présence même des forces françaises sur le sol du Burkina qui attire les djihadistes. Partagez-vous ce point de vue ?
RK: Oh non, je pense que, je ne partage pas du tout ce point de vue. Pendant longtemps c’est vrai que le Burkina Faso a été épargné, je dirai, du terrorisme et des actes terroristes sur son terrain, mais vous devez pouvoir noter quand même qu‘à l‘époque le Burkina Faso jouait un grand rôle dans la médiation générale entre ces différentes forces au niveau du Mali. Je crois que ce rôle que nous avons également joué a permis peut-être de nous en épargner momentanément. Maintenant, évidemment, le 15 janvier nous avons eu le premier choc et nous nous sommes bien réveillés et je peux vous assurer que nous sommes dans les dispositions en tous cas à prendre les responsabilités en ce qui concerne ces attaques-là.
SP: L’Union Africaine a t-elle les vraiment moyens d’agir ?
RK: Disons que la volonté existe mais les moyens c’est toujours la même question qui est posée. L’union africaine sollicite évidement la contribution, je dirai, des pays développés pour nous aider justement à mener ce combat contre le terrorisme. C’est vrai que, au niveau de la zone ouest africaine, nous avons mis en place ce que nous avons appelé le G5 Sahel qui est composé du Tchad, du Mali, du Niger, du Burkina Faso et de la Mauritanie, évidemment, nous sommes décidés à nous engager dans un combat au nord du Mali contre les terroristes, également pour arrêter tous les trafics divers qui s’y mènent. Et malheureusement il faut des moyens pour équiper, pour aider ces bataillons qui seront au nombre de 5, qui seront déployés dans cette zone-là. Parce que nous restons convaincus que si nous n’arrivons pas à couper les sources d’approvisionnement au plan financier des dhjihadistes, on continuera à leur donner de la matière pour pouvoir recruter et pour pouvoir toujours mener ces attaques que nous voyons.
SP: Donc une coopération internationale est indispensable pour lutter contre cette menace….
RK: “Absolument, absolument, absolument parce que le combat aujourd’hui est un combat qui est à l‘échelle mondiale donc il faut beaucoup de solidarité en la matière”
SP: Justement la zone sahélienne est considérée par les experts en terrorisme comme hors de contrôle et servant de base d’entrainement pour les Djihadistes…. Est-ce qu’il y a une menace sur le Burkina et plus largement pour la stabilité complète de la Région ?
RK: Oui, il y a une menace, je dirai, permanente, évidemment, qui nécessite, je dirai, une mutualisation des moyens de renseignement entre nos pays. Et je pense que la dernière attaque qui a eu lieu à Abidjan et notamment à Bassam plus précisément, a permis aux différents pays de prendre conscience de cette nécessité et nous avons déjà au niveau des ministres de l’intérieur, eu une réunion à Abidjan qui a fédéré la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, la Mali et le Sénégal pour essayer de voir comment à travers les informations, nous pouvons essayer de repérer les réseaux qui sont dans les différents pays et ce travail a commencé.
SP: Nous allons rester sur la scène internationale…. Est-ce que vous êtes, Monsieur le Président, attentif à la crise que traverse l’Europe et à cette vague de migration qui semble fragiliser les bases même de la construction européenne ? Avez vous un oeil critique sur Bruxelles ?
RK: Nous suivons la crise qui se déroule donc au niveau de l’union européeenne qui d’abord est une crise, je dirai, financière. Une crise qui nécessite forcément des réformes de fond dont les conséquences sur les peuples seront forcément assez difficiles à tenir. L’immigration est un phénomène qui ne vient que compléter cet état de fait. Alors, pour ma part, je crois que il est important que les réformes soient entreprises. Le plus souvent, les institutions telles que l’Europe sont très loin, je dirai, des populations. Et les gens y voient simplement la participation de bureaucrates qui prennent des décisions au sommet mais finalement dont l’impact vis-à-vis des populations est très peu ressenti. Et je crois que cela veut dire qu’il faut rapprocher, je dirai, nos institutions soit régionales ou sous régionales, même en Afrique c’est pareil, des populations, pour pouvoir effectivement leur apporter les solutions qu’il faut.
SP: Est-ce que vous avez la volonté de développer une coopération plus large avec l’Europe, avec Bruxelles ?
RK: Je pense que c’est nécessaire, tout à fait nécessaire que la coopération que nous avons aujourd’hui, c’est ce que nous avons d’ailleurs demandé à la France…Nous avons demandé, non seulement le soutien de la France mais de façon plus élargie également un lobbying au niveau de l’Europe pour bénéficier de beaucoup plus d’appui de leur part. Et je dois préciser d’ailleurs que c’est une destination où je me rendrai bientôt également pour plaider la cause du Burkina Faso, au niveau de l’Europe.
SP: Est-ce que l’immigration est un enjeu pour le Burkina ?
RK: Disons que les Burkinabés ….Il y a de l’immigration mais surtout dans les pays africains. Vis-à-vis de l’Europe et de la France en particulier, nous avons environ 3 000 Burkinabés qui vivent en France. La plus forte zone d’immigration c’est l’Italie où nous avons près de 25 000 Burkinabés qui travaillent dans les champs de tomates, de production agricole etc. Au-delà de ça, nous sommes surtout en Afrique. Je pense que pour nous il s’agit de travailler à faire en sorte que les Burkinabés restent et participent au développement de leur pays, c’est ça qui est le plus important pour nous, et c’est vrai qu’en Côte d’Ivoire nous avons environ 4 millions de Burkinabés qui y vivent mais ça c’est des faits qui relèvent de l’histoire et de la géographie de notre pays, nos deux pays.