Consultant international impliqué dans de nombreux programmes de développement, expert en suivi-évaluation, Sylli Gandega fut ministre mauritanien du Développement rural durant la Transition 2005/2007.
Il est notamment l’auteur d’un ouvrage rendant compte de son expérience au gouvernement : «Mauritanie : regard d’un homme de la Transition » publié par les Editions de la Librairie 15/21 de Nouakchott(sous les arcades de l’immeuble Al Mamy). Il répond aux questions du Calamesur divers aspects économiques de la sécurité au Sahel.
Le Calame : Dans quelle mesure la sécurité au Sahel est-elle liée au développement économique de la sous-région ?
Sylli Gandega : La sécurité ne peut en aucune manière être séparée du développement. Je dirais même que toute activité humaine nécessite, pour se réaliser dans des conditions convenables et servir efficacement la société, un climat de sécurité.
Celle-ci est donc impérativement liée à toute œuvre humaine et cela est encore plus vrai pour les activités de développement qui concernent le plus grand nombre et les nations. Dans la plupart des pays du Sahel, des progrès ont été réalisés, depuis les indépendances, en termes de développement humain, c’est à dire, d’amélioration du bien-être objectif des populations : hausse de revenu par tête, accroissement de la ration alimentaire et meilleur accès aux services de santé et d’éducation.
On peut ajouter, à ces progrès, la gouvernance, en termes d’organisation régulière des élections. Si les progrès sont réels, force est cependant de constater qu’ils doivent être soutenus de façon durable, en veillant à ce que les fruits de la croissance soient mieux partagés et que ce partage bénéficie, d’abord, aux couches les plus vulnérables et pauvres de la sous-région.
Or, en dépit des taux de croissance élevés enregistrés, globalement, en Afrique et dans les pays du Sahel, en particulier, la tendance observée, dans l’amélioration des conditions de vies des populations de ces mêmes pays – du moins à se référer à un certain nombre d’études produites par les grandes institutions internationales de développement – ne pousse guère à l’optimisme.
Ce constat est, du reste, partagé par les africains eux-mêmes, gouvernements respectifs y compris. C’est ce qui ressort de l’évaluation des cinquante dernières années du Continent, conduite par l’UA et qui a conclu au caractère globalement mitigé des progrès réalisés et débouché sur la formulation et l’adoption de la vision Afrique 2063 par les chefs d’Etat.
C’est dans ce contexte d’afro-pessimisme qui émane, pour une fois, de l’opinion des africains eux-mêmes, que les pays du Sahel se trouvent confrontés à deux types d’insécurités. Les unes se regroupent autour des questions d’alimentation, migration, tension grandissante autour des ressources naturelles, exclusions, croissance des inégalités et de leurs effets…
Les autres partagent un même caractère mafieux, clandestin, illégal et sont, de ce fait, plus difficiles à cerner et définir mais leurs effets sont déjà désastreux, pour les pays sahéliens, en ce qu’elles sont synonymes de terrorisme. Ce phénomène prend de plus en plus d’ampleur au Sahel. Véritable fléau, il est un frein puissant au développement de nos pays car ils les fragilisent davantage.
Le premier type d’insécurités est relativement gérable, à même court terme, pour peu que les gouvernants des pays sahéliens en aient la volonté politique. Celle-ci doit les conduire à revoir leurs politiques économiques, en les inscrivant dans la durée, et à faire en sorte qu’elles soient toutes inclusives, créatrices d’emploi, en particulier pour les jeunes, et réductrices de pauvreté. Le deuxième type d’insécurités est, quant à lui planétaire, diffus et peu lisible. Son objectif, en tout cas pour les Etats sahéliens, est de les détruire, en attaquant là où cela fait le plus mal : le développement économique et social.
Pis, les pays sahéliens évoluent, désormais, dans un contexte où l’aide publique au développement se raréfie et leurs ressources propres, tirées, le plus souvent, de la vente de leurs matières premières, elles aussi soumises aux aléas du marché, sont, de surcroît, de plus en plus affectées à la lutte contre les insécurités du second type, au détriment des activités visant à améliorer les conditions de vie de leurs populations.
Or et comme on l’a dit et répété, c’est bel et bien de la détérioration de ces conditions que se nourrissent révoltes, délinquances et terrorismes. Oui, le développement des pays sahéliens ne peut se faire sans sécurité collective et individuelle et cela commence dans le plus banal et trivial quotidien des gens.
– Où est-on actuellement ?
– Nous sommes là où l’on n’aurait jamais dû commencer, c’est-à-dire au mal-développement et à la gouvernance à géométrie variable, avec leurs lots d’exclusions et d’inégalités pour le plus grand nombre. Il serait cependant inexact de soutenir que les pays du Sahel n’ont connu aucune amélioration de leur situation économique et sociale.
Mais ces améliorations, en particulier économiques, sont restées modestes et n’ont pu lutter durablement contre la pauvreté des populations. Les difficultés des conditions agro-climatiques, certes réelles, ne peuvent tout expliquer et il serait également malhonnête de vouloir tout mettre sur le compte de l’incapacité des pays sahéliens.
Les agences internationales de développement, pour ne pas les nommer, ont, elles aussi, leur part de responsabilité dans l’échec de nos Etats, de l’indépendance à nos jours, même si cela n’exonère pas ceux-ci de leurs errances et approximations. Les exemples de politiques économiques pensées à l’extérieur du Continent et/ou sans le consentement des Etats concernés sont assez nombreux et documentés pour qu’on se dispense d’y revenir ici.
S’il y a des solutions alternatives à la dévastation, sont-elles endogènes, exogènes ou, encore, mixtes ?
Evidemment, des solutions alternatives à la dévastation qui se déroule sous nos yeux existent, pour peu que, tous, pays sahéliens en tête et partenaires internationaux à leur suite, veuillent bien y concourir. Il existe aujourd’hui un consensus grandissant pour dire que le monde est devenu un village planétaire où chacun a besoin de tous et tous de chacun.
Les solutions endogènes relèvent, bien évidemment, des pays sahéliens eux-mêmes. Ils doivent être imaginatifs et promouvoir des politiques économiques saines et inclusives, en encourageant la transformation de leurs matières premières et ressources naturelles par une industrialisation correctement pensée, pesée et maîtrisée. Cette volonté politique doit les amener, chaque fois que cela s’avère possible et pertinent, à promouvoir le patriotisme économique.
n’est d’ailleurs pas contraire aux accords de l’OMC. Les pays sahéliens doivent concevoir leurs propres modèles économiques et économétriques, d’essence prospective, afin de contribuer au développement et échanger avec l’extérieur, notamment avec les agences internationales concernées. Tout ceci ne peut se faire sans une bonne gouvernance qui va bien au-delà de la tenue régulière d’élections.
Sans une lutte de tous les instants, contre toutes les exclusions et d’inégalités qui alimentent, sans, évidemment, le justifier, le terrorisme ; en formulant et mettant en œuvre, notamment, des politiques et réformes éducatives, participatives dans leur conception, régulièrement suivies et évaluées. Ces réformes et politiques éducatives doivent couvrir tous les segments du savoir, y compris le savoir religieux.
Ce dernier doit rester absolument malékite, comme il l’a toujours été dans l’espace sahélien. La confusion des esprits n’est pas compatible avec la nécessaire modernisation de l’outil traditionnel. Je dirais même : au contraire.
Des solutions exogènes et complémentaires à celles des pays sahéliens doivent être recherchées, avec, en conditions sine qua none, le respect de la souveraineté, non seulement, territoriale mais, aussi, économique et culturelle de nos pays. Ceci nécessite, également, une forme de gouvernance vertueuse, au niveau international.
Il en est en mal, aujourd’hui. Cette mal-gouvernance regrettable relève, il est vrai, du seul fait des grandes puissances mais cela ne doit ni ne peut, encore une fois, justifier le terrorisme, aveugle et sans distinction, qui frappe presque tous les pays et dont le Sahel devient terrain privilégié d’application.
Cela dit, si cette mal-gouvernance ne peut, en aucun cas, justifier le terrorisme, elle l’alimente sûrement et l’alimentera durablement, si des progrès ne sont accomplis, en termes de gouvernance mondiale. La loi des plus forts ne peut plus être considérée comme la meilleure, parce qu’à l’évidence, elle finit, toujours et de plus en plus vite, par se retourner contre eux.
– Plus concrètement, que pensez vous des aides ponctuelles qui existent sous forme de projets globaux d’appui à la société civile ?
Les projets nationaux ou régionaux d’appui à la société civile sont comme toutes les autres formes d’appui aux autres acteurs, publics ou privés. Leur efficacité dépend de leur formulation, mise en œuvre et suivi-évaluation. Ces organisations souffrent de carences, importantes, qu’on peut résumer en : faiblesse de capacités et de gouvernance interne, absence de culture du « rendre-compte » et d’évaluation, manque ou débilité de leurs ressources internes et de spécialisation… Elles sont totalement dépendantes de l’aide, publique ou extérieure, au développement. Leur nombre n’est pas connu ni répertorié, leur participation au développement, tant en termes de ressources que de réalisations, non plus.
Sans parler d’encadrement qui pourrait signifier embrigadement, il nous semble important que l’Etat fasse le point sur toutes ces organisations, en menant une évaluation participative de leurs capacités ; avant d’aider celles qui sont pertinentes, au regard de la loi mais pas seulement, à mobiliser des ressources et à les utiliser le plus efficacement possible, en tant que partenaires d’exécution et/ou de conception.
L’Etat ne peut plus faire l’économie de ce diagnostic des réalités des organisations de la SOC y compris les ONG, préalable incontournable au renforcement de leurs capacités, car toutes ces structures sont essentielles au développement des incontournables actions quotidiennes de proximité, dans la lutte contre la pauvreté, la réduction des inégalités et la cohésion sociale.
– Comment, en particulier, assurer le quotidien des ONG ?
Répondre à cette question dépend de l’étude et l’évaluation, mentionnées plus haut, qui auront à séparer le grain de l’ivraie. C’est seulement à l’aune des besoins réels qu’on pourra déterminer précisément le contenu et les méthodes des actions à mener.
Source : Calame