Au Nigeria, la guerre contre Boko Haram tourne enfin en faveur du gouvernement, mais il faudra bien plus de temps pour remettre sur pied la production alimentaire dans le nord-est du pays. Il en va de même au Cameroun voisin, qui a lui aussi pâti de la violence.
Selon le Réseau de systèmes d’alerte précoce contre la famine (FEWS NET), le conflit a poussé les agriculteurs, effrayés, à fuir leurs terres. Il a également entraîné la fermeture des routes et des marchés, ce qui s’est traduit par une hausse des prix des denrées alimentaires, et a réduit les sources de revenus.
Même si les campagnes pourront sans doute se redynamiser progressivement, grâce aux victoires de l’armée qui vont permettre à ceux qui ont fui de rentrer chez eux, « cela ne suffira pas à compenser les impacts négatifs de ce conflit sur les sources d’alimentation et de revenu des foyers », a ajouté FEWS NET.
L’organisation, financée par l’USAID, prédit une « crise » alimentaire pour les foyers pauvres des zones les plus touchées des États de Borno, de Yobe, et d’Adamawa entre février et septembre 2016 et le reste des trois États devrait être « sous stress » alimentaire, c’est-à-dire que leurs habitants n’auront que le strict minimum pour survivre.
Selon une enquête menée en décembre, 15% des enfants souffrent de malnutrition, taux considéré au niveau international comme le seuil d’urgence.
Un problème régional
De l’autre côté de la frontière, dans la région camerounaise d’Extrême-Nord, le directeur national du Programme alimentaire mondial, Felix Gomez, estime à 1,4 million le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire, soit un tiers de la population.
C’est le double du chiffre enregistré en juin 2015, a-t-il dit à IRIN. Environ 200 000 personnes sont « particulièrement vulnérables » et risquent de se trouver en situation « d’insécurité alimentaire grave », avec plus de 150 000 enfants de moins de cinq ans et plus de 30 000 mères ayant besoin d’une assistance nutritionnelle d’urgence.
Isolé, le nord du Cameroun a toujours eu du mal à se nourrir. Le conflit dû à Boko Haram, qui s’est étendu au-delà du Nigeria, n’a fait qu’aggraver le problème.
Les attaques transfrontalières qui ont commencé en 2013 ont fait plus de 1 200 morts, d’après Issa Tchiroma Bakary, porte-parole du gouvernement. Boko Haram considère les gouvernements du Nigeria et du Cameroun comme laïcs et illégitimes.
Dans ce contexte d’insécurité croissante, les paysans ont tenté d’atténuer les risques en réduisant la taille des parcelles qu’ils cultivent. Le commerce de produits de base avec le Nigeria, vital pour le Cameroun, s’est lui aussi tari depuis que les autorités ont cherché à limiter les mouvements transfrontaliers et les prix des denrées alimentaires sont en hausse.
Les épreuves rencontrées par la population se reflètent dans le nombre croissant d’admissions à des programmes de nutrition « dans les districts touchés par les attaques de Boko Haram », a dit M. Gomez. Des centres de santé sont cependant contraints de fermer à cause des troubles.
« Si aucune solution adéquate n’est apportée, cette situation pourrait continuer à se détériorer à cause de l’insécurité, des mauvaises récoltes et des difficultés croissantes dues aux déplacements de population, » a averti M. Gomez.
Les violences de Boko Haram ne sont pas la seule cause de ces difficultés. Les enlèvements et les vols de bétail par des groupes armés venant de la République centrafricaine voisine bouleversent également les exploitations agricoles et l’industrie agroalimentaire de la région camerounaise d’Adamawa (à ne pas confondre avec la région nigériane du même nom), grande productrice de bœuf.
Selon un rapport de l’APESS, l’association locale des éleveurs, les propriétaires de bétail ont payé 170 000 dollars de rançon à des ravisseurs en 2015 et perdu des milliers de bêtes.
« Nous avons remarqué une détérioration de la sécurité alimentaire dans la région d’Adamawa en 2015, » a dit M. Gomez. « Les activités criminelles telles que les enlèvements et les vols de bétail et de cultures ont aggravé la situation et touché les agriculteurs et les éleveurs de la région. »
Pour assurer la sécurité alimentaire future du Cameroun, il faut que les paysans camerounais se sentent suffisamment en sûreté pour effectuer des plantations dans les prochains mois.
Les services météorologiques camerounais prédisent un retard de précipitation, mais leurs données sont incomplètes, car leurs agents ont quitté le terrain par peur de Boko Haram.
Gervais Didier Yontchang, météorologue, a dit à IRIN que si un appareil de mesure tombe en panne « les choses se compliquent, car personne n’est prêt à risquer sa vie pour aller le réparer. »
Source : IRIN