Malgré d’importants revers, le groupe terroriste Boko Haram est loin d’être neutralisé. Pour le think tank International Crisis Group, sa pérennité s’appuie en grande partie sur les nombreux dysfonctionnements de l’Etat nigérian.
Fragilisé par l’offensive militaire musclée des Etats de la zone du basin du lac Tchad et de leurs alliés, le groupe terroriste Boko Haram dont les violences et la répression ont déjà fait plus de 28 000 morts et 2,8 millions de déplacés, a connu, ces derniers mois, un important recul. Un virage offensif qui doit beaucoup à la personnalité et aux objectifs fixés par le président Muhammadu Buhari, élu à la tête du pays en mars 2015.
C’est ce qu’explique le rapport d’International Crisis Group, « Boko Haram in the Back Foot », paru le 4 mai dernier. Après des années d’inaction de 2013 à 2014 sous la présidence de Goodluck Jonathan, Buhari a déployé d’importants moyens pour mettre fin aux exactions du groupe terroriste. Ancien général d’armée réputé intègre et doté d’une expérience dans le nord-est où il fut gouverneur militaire de 1975 à 1976, le nouveau chef d’Etat a par ailleurs considérablement amélioré la transparence au sein d’une armée jusqu’alors gangrénée par la corruption.
Parmi les initiatives de poids, le rapport fait état d’un rapprochement amorcé avec la Russie et la Chine qui ont permis à l’Etat nigérian d’assurer l’approvisionnement en armes et la formation des militaires. Par ailleurs, une société privée sud-africaine spécialisée dans les opérations militaires a été chargée de former une unité dans l’Etat de Borno de décembre 2014 à mars 2015. Plus déterminant encore, des soldats tchadiens et nigériens ont été autorisés à intervenir sur le territoire nigérian atour du lac Tchad en février et mars derniers. Une opération qui a permis de chasser les éléments de Boko Haram de certaines zones comme Gwoza et Dikwa.
Fait inédit, Buhari a ordonné le lancement d’enquêtes judiciaires visant plus de trois cent unités militaires et plusieurs personnalités de renoms dont certains officiers à la retraite soupçonnés d’être impliqué dans des affaires de détournement des deniers publics. Un véritable coup de balai qui a permis aux autorités nigérianes, tchadiennes et camerounaises engagées dans la lutte contre Boko Haram de donner des gages de bonne volonté à leurs alliés occidentaux. Les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont ainsi accru leur aide consacrée à la formation militaire, la livraison d’équipement et l’échange de renseignements.
Plusieurs initiatives ont par ailleurs boosté l’efficacité opérationnelle de l’armée nigériane. Le transfert de la base des opérations d’Abuja à Maiduguri a amélioré la réactivité des troupes et accéléré la livraison du matériel tandis que des progrès considérables ont été réalisés dans le soutien aérien et la distribution des salaires.
Malgré ces avancées, Boko Haram constitue, selon le rapport, une menace toujours ardente. Les racines du groupe terroriste, qui puisent au cœur de problèmes structurels spécifiques au Nigéria, sont loin d’avoir été éradiqués.
Selon ICG, les principaux facteurs qui alimentent le phénomène terroriste dans cette zone incluent « la corruption liée au pétrole, la mauvaise gouvernance, l’accroissement des inégalités entre les régions qui s’accompagne de taux de natalité élevés, une pauvreté importante, un niveau d’éducation très bas, tout particulièrement dans le nord est du pays, l’instrumentalisation de la charia par les élites du nord dans un contexte de démocratisation rapide et de fédéralisme dysfonctionnel ».
En outre, l’ancrage historique de la violence au Nigéria, notamment au nord-est, constitue un autre facteur d’explication. « Lorsque Boko Haram a commencé à se former et à se développer, le nord-est du Nigéria et plus largement le bassin du lac Tchad ne constituaient pas encore une zone de conflit armé mais étaient tout de même parcourus d’une violence diffuse, quotidienne et structurelle ».
Le banditisme, le besoin de se protéger afin de maintenir à flot une activité économique légale, et les nombreux abus des officiels de l‘Etat sont des phénomènes interconnectés. « Dénouer les liens inextricables entre l’accès aux richesses et la violence dans la région constitue un défi structurel majeur » note le rapport. Une récente étude sur les anciens combattants de Boko Haram souligne en effet qu’une grande partie des anciens combattants de Boko Haram qui ont pu être interviewés expliquent que leurs communautés ont ponctuellement soutenu Boko Haram, pensant que le groupe pourrait aider à changer le gouvernement. « La légitimité de l’Etat au cœur du problème » note ainsi le rapport. La répression brutale menée par l’armée nigériane à la fin des années 2000 contre l’insurrection n’a fait que jeter de l’huile sur le feu.
Selon un expert des droits de l’homme cité par le rapport, les forces de l’ordre ont probablement fait plus de morts parmi les civils dans la région que Boko Haram. Un contexte qui explique en grande partie le succès du groupe terroriste. « Les civils dans les zones rurales se sont trouvées confrontées à un faux dilemme.
D’un côté, un Etat caractérisé par des promesses de développement non tenues, des mesures de taxation abusives, de pillage et de prédation de la part des officiels dont une grande partie ne maîtrisent pas les dialectes locaux. De l’autre, des militants armés de bâtons mais aussi de belles carottes : accès aux armes, à des subsides, à des motos, à une protection armée nécessaire pour mener des activités de commerce, à des promesses d’enrichissement ou de mariage, à une chance de prendre sa revanche contre les abus de l’Etat etc ». En plus d’individus, Boko Haram s’est attiré la confiance de communautés entières. Le long du lac Tchad, plusieurs segments des communautés de pêcheurs « Buduma » se sont rangés sous le drapeau du groupe terroriste pour contrer la domination économique des commerçants Haoussa.
Alimentées par l’incapacité des Etats du bassin du lac Tchad à administrer de manière égalitaire l’ensemble de leurs territoires, les frustrations qui furent aux origines profondes de Boko Haram restent, toujours, un puissant moteur de recrutement
Source MondAfrique