Quel bilan pour l’intervention française au Mali ? Le général Bernard Barrera, ex-commandant des forces terrestres de l’opération Serval répond aux questions de Jeune Afrique.
Le général de division Bernard Barrera a dirigé les troupes terrestres de l’opération Serval de janvier à mai 2013*. À la tête de 4 000 hommes, il a mené avec succès la guerre contre les jihadistes et libéré le Nord-Mali. Il a reçu à ce titre la médaille de commandeur de l’ordre national du Mali des mains du président par intérim Dioncounda Traoré en 2013. Aujourd’hui conseiller militaire au ministère français de la Défense, il revient sur l’intervention militaire française au Mali,
Jeune Afrique : Quel bilan dressez-vous des opérations Serval et Barkhane ? Certains parlent d’enlisement…
Bernard Barrera : Les gens ont la mémoire courte. Il y a trois ans, la moitié du Mali était occupée et les jihadistes étaient sur le point de prendre Bamako. Serval a permis de restaurer l’intégrité territoriale du pays, ainsi que les institutions. Avec Barkhane, nous sommes entrés dans une phase, plus longue, de stabilisation, durant laquelle il faut prendre en compte les volets politique, économique et social afin d’apporter une réponse globale au terrorisme. Nous sommes aussi passés d’une échelle nationale à une opération régionale, qui englobe la bande sahélienne jusqu’au lac Tchad, soit un territoire grand comme l’Europe.
Depuis le début de Barkhane, 140 terroristes ont été mis hors de combat ; 98 d’entre eux ont été capturés et remis aux différentes armées nationales
Comment réagissez-vous aux critiques sur la stratégie de « neutralisation », qui consiste à tuer systématiquement les terroristes ?
Il n’y a pas de destruction ciblée des terroristes, nous n’utilisons pas de drone armé. Lorsque nous intervenons, les personnes blessées ou capturées ne sont pas « neutralisées ». Depuis le début de Barkhane, 140 terroristes ont été mis hors de combat ; 98 d’entre eux ont été capturés et remis aux différentes armées nationales.
Certains estiment qu’il faudrait négocier avec les terroristes recherchés comme le chef d’Ansar Eddine, Iyad Ag Ghaly, ex-rebelle touareg qui collabora longtemps avec l’État malien. Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas à moi de décider avec qui nous pouvons négocier ou pas, mais je pense que dans le nord du Mali il y a suffisamment de possibilités pour choisir entre le terrorisme et la paix, dans le cadre des accords d’Alger de 2015.
Il a souvent été reproché à l’armée française de s’appuyer davantage sur le MNLA que sur l’armée malienne…
Je peux vous certifier qu’à mon niveau de commandement nous n’avions pas de rapport avec le MNLA, mais seulement avec l’armée malienne. Même chose pour Barkhane depuis les accords d’Alger. En 2013, nous avons combattu et vaincu l’ennemi d’abord grâce à l’armée malienne, et à l’intervention décisive du contingent tchadien et des contingents africains de la Misma [Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine].
Il faut rester vigilant, cette guerre s’annonce très longue
Pourquoi la France n’est-elle pas plus épaulée dans cette mission par d’autres armées européennes ?
Sur Serval, pour une question d’efficacité, nous avons dû inter-venir seuls avec nos partenaires africains, qui connaissaient le terrain. Aujourd’hui, Barkhane agit avec les cinq armées de la sous-région. Et les Européens sont également présents à travers les programmes de formation, sans oublier les nombreux contingents européens de la Minusma. Nous ne sommes donc pas seuls, même si nos partenaires européens ou américains préfèrent rester discrets.
Y a-t-il des raisons d’être optimistes dans cette lutte contre le terrorisme ?
Nous devons rester unis avec nos partenaires africains et européens si nous voulons éradiquer le terrorisme dans la région. Daesh s’infiltre aujourd’hui en Libye pour prendre pied au Sahel, tandis que Boko Haram menace les pays riverains du lac Tchad. Il faut rester vigilant, cette guerre s’annonce très longue.
Source : Jeune Afrique