La Force conjointe du G5 Sahel lançait sa première opération sur le terrain, sur le plan diplomatique. Les pays membres de la dernière-née des organisations sous-régionales étaient au même moment en négociation aux Nations Unies pour lui donner les moyens de ses ambitions.
A l’issue de cette rencontre et de retour au Mali avec de nombreuses promesses des partenaires de cette force dont les contours sont encore flous pour le citoyen lambda, le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale explique au Journal du Mali ses enjeux et ses premiers acquis. Abdoulaye Diop s’exprime également sur la forte présence malienne sur la scène diplomatique et ses retombées pour la reconstruction du pays et son complet retour dans le concert des Nations.
Vous venez de rentrer des Etats-Unis, où vous avez pris part à diverses rencontres ayant pour point commun le G5 Sahel. Les annonces ont été nombreuses. Pouvez-vous revenir pour nos lecteurs sur ce qui s’est passé à New York ?
Beaucoup de choses. A mon avis, ce qui était le plus important, c’est que le Secrétaire Général de l’ONU a présenté, conformément à la résolution 2359 adoptée le 21 juin 2017, un rapport sur l’opérationnalisation de la force G5 Sahel. La réunion avait pour but de présenter ce document, publié le 30 octobre. La présidence française du Conseil de sécurité a tenu à réunir les 5 ministres des Affaires Etrangères du G5 Sahel pour l’occasion. Le rapport demande que le Conseil de Sécurité puisse considérer de doter la force d’un mandat à la mesure des menaces auxquelles elle est confrontée et propose également des options en termes de soutien des Nations Unies au déploiement de la force, estimant qu’elle est complémentaire des autres forces en présence sur le terrain. L’objet essentiel était de prendre connaissance de ce rapport et de travailler à une nouvelle résolution, qui ira plus loin que la 2359, avec l’assentiment des membres du Conseil.
A la lumière de cette session, nous avons lancé un message de détermination du Président IBK et de ses pairs. L’approche choisie est régionale et les pays ont mis en place tous les éléments nécessaires. La situation dans notre région a un impact sur la paix et sécurité internationale et nous demandons que la communauté internationale assume sa part de responsabilités. Au Mali, dans le nord, nous avons été victimes d’une intervention étrangère en Libye menée sans vision stratégique, sans plan, et aussi mal exécutée que l’après intervention. Ce qui a créé la situation sécuritaire que nous connaissons, avec le déversement de l’arsenal libyen qui continue de déstabiliser la région. Le défi est planétaire. Le terrorisme frappe partout : Mali, Californie, Londres, Paris, et nous, nous jouons notre partition. Le front du Sahel se bat pour le Sahel, mais aussi pour le monde entier. Ce sont ces messages que nous avons fait passer, en insistant sur la nécessité d’un mécanisme de soutien prévisible et durable pour cette force, qui viendra compléter les efforts en cours au niveau de chaque Etat.
Nous avons été entendus, je pense. D’ailleurs, les Etats-Unis, qui avaient émis des réserves sur la force, nous disent maintenant qu’ils sont pleinement pour, avec une contribution de 60 millions de dollars. Même si c’est à titre bilatéral, c’est un pas important, ils sont quand même la première puissance mondiale. Et, au-delà de la contribution financière, nous espérons que leur engagement moral et politique derrière la force permettra d’attirer d’autres Etats.
Les 5 ministres de la force conjointe se sont déplacés à Washington pour une rencontre de lobbying et de plaidoyer, au Département d’Etat et au Centre d’études stratégiques internationales. Nous avons sensibilité nos partenaires américains sur le lien qui y a entre la situation sécuritaire dans notre région et celle de notre allié, l’Europe.
Les prochaines étapes seront d’aller vers de nouvelles résolutions, en menant un travail politique pour améliorer la réceptivité des membres du Conseil de Sécurité, mais également d’organiser la Conférence internationale sur la sécurité et le développement dans le Sahel, dont l’objectif principal est de mobiliser les ressources pour le G5 Sahel. Elle doit se tenir à Bruxelles le 14 décembre et, d’ici là, il y a beaucoup de travail à faire.
La force conjointe du G5 Sahel a, selon des médias français, démarré ses opérations dans le centre du Mali. Qu’en est-il réellement ?
Nous confirmons. Il s’agit d’opérations conjointes. Nous avions indiqué qu’à partir d’octobre nous allons être présents sur le terrain. C’est un début, la force n’a pas atteint sa pleine capacité. Ici, il s’agit de faire preuve de la capacité initiale pour être en mesure de démarrer, même s’il y a encore des difficultés, et de montrer notre bonne foi, notre engagement. Avec ou sans aide internationale, nous sommes obligés de lutter contre le terrorisme et nous le ferons avec les moyens du bord. Mais le défi à relever est de se doter de moyens logistiques conséquents, de troupes aériennes, des équipements et des moyens de communication nécessaires pour engager cette lutte. Si nous n’allons pas au-devant de certaines difficultés, c’est le monde entier qui risque de perdre. Il faut donner le maximum de crédit à l’opération. Cela ne veut pas dire que tout est réussi, cela veut dire que la force est une réalité. Il y a des PC de commandement opérationnel qui sont déjà en place, au Mali et ailleurs. Nous avançons et l’objectif est que, d’ici mars 2018, la force soit entièrement opérationnelle.
Que se passe-t-il sur le terrain, alors que toutes les questions, particulièrement financières et logistiques, ne sont pas encore réglées ?
Les choses vont se mettre en place progressivement. L’opération qui est en train de se mettre en place est dans le fuseau Centre, celui du Liptako-Gourma, du Mali, du Burkina et du Niger. Comprenez qu’il y a certains détails logistiques que nous ne pouvons pas fournir à la presse. Les troupes qui sont initialement engagées pour occuper le terrain vont monter en puissance progressivement, en fonction d’un certain nombre d’objectifs et des moyens qui seront mis à leur disposition.
5 000 hommes doivent être déployés, avec une montée en puissance d’ici mars, où il faudra avoir bouclé un budget de 423 millions d’euros sur lesquels nous n’avons pu réunir à ce stade que 150 millions d’euros. Il est difficile de vous donner des chiffres plus précis. Nous sommes dans une lutte contre le terrorisme et ce n’est pas sur les antennes que nous allons communiquer nos détails opérationnels. Mais les fuseaux Est et Ouest seront eux aussi mis en place progressivement.
Le G5 Sahel, ce sont 5 pays du Sahel plus la France. Comment se passe la coordination sur les plans diplomatique et militaire ?En termes d’actions des troupes sur le terrain, armées nationales, Barkhane, Minusma ?
Il n’y a pas de difficultés particulières sur le plan militaire. Le concept d’opérationnalisation de la force est un document qui a été fait par le G5 Sahel avec la contribution de l’Union Africaine, des Nations Unies, de l’Union Européenne, de Barkhane… Il y a déjà alors une coordination des forces en présence, du rôle des uns et des autres et du soutien mutuel. Il y a une claire complémentarité. Prenons le cas de la MINUSMA, qui n’a pas pour rôle proprement dit de combattre le terrorisme. La force conjointe sera le lieu qui la rendra complémentaire de la force Barkhane et des autres forces, avec des officiers de liaison entre elles mais aussi nos partenaires. Nous avons souhaité que les Américains, les Français et tous ceux qui le souhaitent puissent déployer des officiers de liaison qui assureront, en pleine coopération, le partage d’informations et le déploiement coordonné des ressources.
Sur le plan diplomatique, il n’y pas de souci particulier. Nous avons travaillé avec l’Union Africaine, dont nous avons obtenu un mandat du Conseil de Sécurité en avril dernier, et les Nations Unies ont autorisé le déploiement de la force conjointe par la résolution 2359 de juin. Avec nos amis français, déjà engagés sur le terrain, il y a une interaction constante. Nous travaillons avec les Européens, les Américains et nous sommes le plus large possible pour travailler avec les pays du monde arabe, la Russie, la Chine, le Canada…
Un grand acteur régional est absent du G5 Sahel, l’Algérie. Certains observateurs pensent que cette organisation est difficilement viable sans l’implication de ce grand voisin du Mali. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Les 5 pays constituent les pays de front du Sahel, car ont des similitudes en termes de développement, de sociologie, une certaine proximité. Il y a des convergences entre ces pays. Nous ne sommes pas les seuls pays du Sahel. D’après l’UA et l’UE, ils sont 11, du Sénégal à la Somalie. Le G5, c’est en quelque sorte la ligne de front. Bien sûr, pour assurer notre sécurité dans l’ensemble de la région, nous devons travailler avec nos voisins. C’est dans ce cadre que s’est tenue au Mali une conférence avec la CEDEAO, pour travailler sur les questions de sécurité au Sahel et sur la protection des frontières extérieures au G5 Sahel, dont celles des pays du nord de l’Afrique, du Maroc à l’Egypte. L’Algérie était présente lors de cette conférence, et nous avons avec elle, la Mauritanie et le Niger un mécanisme de coordination, le CEMOC. Nous discutons des questions de sécurité dans ce cadre. Le G5 Sahel n’a pas été établi contre qui que ce soit, mais pour remplir des objectifs spécifiques.
La Mauritanie, quant à elle, trainerait les pieds. Cela est-il vrai ? Que fait le Mali, qui assure la présidence du G5 Sahel, pour s’assurer de l’entière implication des autres pays et acteurs concernés ?
Je pense que c’est une rumeur. Je reviens des Etats-Unis et chacun des ministres de chaque pays était disponible. Le Ministre des Affaires Etrangères mauritanien était à New-York et je vous invite à lire sa déclaration. Il n’y a pas de divergences de vues par rapport à l’importance de cette force. Nous avons la même vision. Il y a des préoccupations pour que nous puissions aller plus vite, pour que nous puissions nous donner le maximum de chances. Je pense qu’il peut y avoir des questions de perception des uns et des autres, mais en aucun cas, à notre niveau ou à celui des chefs d’Etat, nous n’avons senti de dissonances par rapport à l’engagement de quelque pays que ce soit. Le G5 bénéficie de l’appui de tous.
Autre « complication », le désir des Etats-Unis de se passer de l’ONU dans leur appui à la force conjointe. Comment cela va-t-il finalement se passer ?
Ce n’est pas un secret. Les Etats-Unis ont fait comprendre qu’ils soutenaient pleinement le G5 Sahel, mais que, pour eux, il serait mieux que l’appui se fasse sur un plan bilatéral. Ils ne souhaitent pas que cela se fasse à travers les Nations Unies parce qu’ils trouvent que c’est trop lourd et que cela va retarder l’atteinte des objectifs. Ils ont leur manière de voir mais je pense qu’ils ne sont pas totalement fermés à la discussion. Au niveau du G5, notre point de vue est de faire en sorte que nous puissions aller vers un mécanisme multilatéral qui permette d’assurer la prévisibilité des différentes interventions. Si nous avons des interventions, des appuis au plan bilatéral, ils sont les bienvenus. Mais imaginez que nous ayons les appuis d’une trentaine de pays, chacun pays ayant ses propres procédures, ses propres mécanismes, et que nous devions nous organiser pour gérer tout cela ! Cela va poser beaucoup de problèmes. C’est pourquoi nous pensons qu’il faudra trouver un mécanisme multilatéral, peut-être à travers les Nations Unies, qui nous permettra de mieux gérer cet appui, et que cela soit prévisible, parce que nous engageons aussi nos forces sur le terrain. Il est extrêmement important que nous sachions sur quoi pouvoir compter l’année prochaine pour poursuivre. Toutes ces questions sont en discussion. Chaque pays est naturellement libre d’avoir sa propre perception des choses, mais c’est dans le cadre d’un dialogue. Notre objectif est d’assurer une prévisibilité et une durabilité des mécanismes d’appui à la force.
Le Tchad fait partie du G5 Sahel et est en froid avec le partenaire important que sont les Etats-Unis. Comment cette question est-elle gérée ?
Le Tchad a été frappé par une mesure américaine. La raison invoquée était un manque de coopération dans la lutte contre le terrorisme. Nous avons tous été surpris par cette décision, notamment au niveau du G5 Sahel. Immédiatement, le Président en exercice, SE Ibrahim Boubacar Kéita, a fait une déclaration dans laquelle il a exprimé ses sentiments, tout en reconnaissant le droit des Etats-Unis, en tant qu’Etat souverain, de déterminer les conditions d’entrée et de séjour sur son territoire. En tant que pays membre du G5 Sahel reconnaissant tous les sacrifices qui ont été consentis par le Tchad et son engagement dans la lutte contre le terrorisme, nous souhaitons que le dialogue qu’il est en train de mener avec les Etats-Unis puisse se poursuivre pour qu’il ait une réévaluation de la situation. Nous pensons que certains éléments d’appréciation ne sont pas à la disposition de la partie américaine. Nous restons confiants. Avec les efforts en cours, cette mesure, qui en définitive pourrait affecter notre engagement collectif dans la lutte contre le terrorisme, pourra être levée.
Quelles sont vos attentes pour conférence de mobilisation prévue à Bruxelles en décembre ?
Tout d’abord de sortir avec le bouclage complet du financement de la force conjointe, les 423 millions d’euros dont nous avons besoin, avec des engagements concrets à l’issue de la conférence. Nous n’estimons pas que cette enveloppe soit hors de portée et nous avons indiqué que nous n’étions en train de mendier, parce que nous engageons nos hommes, nous engageons nos moyens. Chacun des pays du G5 a décidé, sur ses maigres ressources, qui auraient pu être investies dans l’éducation ou la santé, de mettre 10 millions d’euros dans la force. C’est en addition de ce que nous allons faire pour équiper nos différentes unités. Comparez avec ce qui se passe dans d’autres régions. Il y a des opérations dans d’autres parties du monde où une journée ou une semaine peuvent coûter autant que ce que nous demandons. Si nous ne réagissons pas maintenant pour contrer l’extension du terrorisme dans notre région, le prix à payer sera beaucoup plus élevé que ces 423 millions. Nos attentes, c’est que la communauté internationale convienne qu’elle a aussi la responsabilité, avec nous, de nous aider à sécuriser cette région, voisine de l’Afrique du Nord, qui est une région voisine de l’Europe. Nous avons expliqué à nos amis à Washington que s’il y a quelques succès relatifs contre Daesh en Syrie, en Irak ou même en Libye, tout cela, c’est un même front. Si des succès sont remportés d’un côté, la conséquence logique est que ces groupes vont se déplacer ailleurs. Et tous les renseignements nous montrent que ces groupes sont en train de quitter ces zones pour venir s’installer dans le Sahel. Cela veut dire que si la lutte contre le terrorisme n’est pas coordonnée, et si la communauté internationale a une vision sélective des priorités et de l’importance stratégique des régions, nous allons au-devant de beaucoup de difficultés. La région du Sahel est aussi importante que n’importe quelle autre région stratégique de cette planète. Nous irons à cette conférence avec ces messages très clairs. Naturellement, nous n’allons pas parler que de la force, nous allons aussi évoquer les questions de développement. Comment donner de l’emploi aux jeunes, comment éduquer nos enfants, comment lutter contre la radicalisation ? En quittant Bruxelles, nous voulons un engagement conséquent de la communauté internationale derrière le Sahel et le G5.
La force conjointe pour remplacer Barkhane, voire la Minusma, c’est le scénario prévu ?
La force n’est pas orientée pour remplacer qui que ce soit. Elle est là pour compléter les efforts des pays. Nous avons des armées nationales qui luttent contre le terrorisme, mais à l’intérieur de nos pays. Elles n’ont peut-être pas la capacité de gérer l’aspect transfrontalier, alors que les groupes peuvent se mouvoir d’un pays à l’autre. Il y a les armées nationales et il y aura cette force G5, avec cette capacité sur le long terme. Vous savez, quand nos amis viennent nous aider, c’est bien, mais nous devons avoir à l’esprit que quand les situations évoluent il n’est pas toujours évident de bénéficier de ces appuis. Quand ça chauffe dans nos pays, nous n’allons pas partir, car ce sont nos pays. La MINUSMA est une mission de stabilisation, elle a vocation à terminer un jour sa mission. A partir du moment où ses objectifs seront atteints, nous espérons que l’Etat malien pourra assurer sa sécurité et que nous pourrons recouvrer notre souveraineté sur l’ensemble du territoire national. La force Barkhane est là dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et ne concerne pas que le Mali, mais un espace beaucoup plus grand. Elle nous apporte un soutien technologique important, dans le cadre d’un partenariat. Tant que nous aurons besoin qu’elle nous accompagne, je ne vois pas pourquoi ce ne sera pas le cas.
Un autre sujet, à présent, quoique lié aux précédents. La diplomatie malienne est très active sur plusieurs autres plans. Vous-même multipliez les voyages. Quel message le Mali veut-il envoyer au monde ?
Il y en a plusieurs. Le premier est de dire que le Mali n’est pas spectateur de son propre développement ou de sa propre sécurité. Il est vrai que notre pays a trébuché, que nous avons traversé des phases extrêmement difficiles. Aujourd’hui nous nous relevons d’un conflit, en essayant de retrouver l’entente entre les Maliens, de montrer que le Mali se relève en tant que pays uni. Cette unité, nous la chérissons. Nous avons agi avec le monde entier comme un peuple uni, mais un peuple divers. On nous taxe d’être un pays pauvre, encore qu’il faille bien définir la pauvreté ? Malgré les défis auxquels nous sommes confrontés, sur le plan sécuritaire et d’autres, il y a beaucoup d’efforts qui sont faits, tant sur le plan politique que sur celui de la prise en charge de notre sécurité. Notre message au monde est de dire que l’on peut compter sur le Mali et qu’il n’y aura pas de paix ou de stabilité dans le Sahel ou en Afrique sans stabilité au Mali. Sur ce point, nous jouons notre partition, mais nous ne pouvons pas le faire seuls, car le défi face à nous nous dépasse. Il y a une partie internationale que nous ne pouvons gérer qu’avec les autres. Notre message au monde, c’est que nous sommes un partenaire prêt à assumer ses responsabilités, un partenaire qui a besoin d’un accompagnement dans le cadre du respect du Mali, du respect de son unité, et du respect de la dignité de ce grand peuple…lire l’article sur Journaldumali.com
Source: journal du Mali