Quelques dizaines de corps gisent à la surface du Lac Tchad. Ce sont des hommes, frères, pères, amis… tous pêcheurs, de nationalité camerounaise, tchadienne ou encore nigérienne.
Ce sont, aussi des victimes de Boko Haram, qui broie sur son passage toute vie non acquise à sa cause.
Les pêcheurs du Lac Tchad qui avaient déserté depuis plusieurs mois leurs villages, en raison des incursions répétés du groupe terroriste nigérian, regagnaient depuis quelques semaines, peu à peu leur domicile et leur travail qui nourrit toute l’économie du bassin et ce, malgré la menace qui ne cesse de planer, confirment les habitants.
« Nous ne pouvions plus vivre loin de notre maison, de nos champs… Nous sommes revenus, sachant, bien sûr, qu’on risquait notre vie mais nous avons besoin de travailler !», explique Ousmane, un jeune agriculteur de l’Extrême Nord du Cameroun, revenu il y a deux semaines chez lui.
Malgré une accalmie relative de deux mois qui a convaincu certains déplacés de rentrer, Boko Haram a opéré un retour en force sur le bassin du Lac Tchad.
Le groupe armé a ainsi mené une attaque sanglante le 4 juin dernier, dans la localité de Bosso dans le sud-est nigérien, qui s’est soldée par la mort de 26 militaires, dont 24 Nigériens et 2 Nigérians, ainsi que 112 blessés selon un bilan de l’armée nigérienne qui a également évoqué 55 morts dans les rangs de “l’ennemi”.
La localité de Bosso a été de nouveau attaquée par les éléments de Boko-Haram, deux jours plus tard. Selon Nomo Jean-Claude, commandant de gendarmerie du Logon et Chari (Extrême-Nord du Cameroun), dix pêcheurs ont été tués, dans un assaut lancé par trente éléments de
Boko Haram contre le village riverain du Lac Touboun Ali.
Encore deux jours après, c’est une quarantaine de pêcheurs qui se font enlever par Boko Haram dans le même village de Touboun Ali, et dont les corps seront retrouvés durant le week-end dans les eaux du Lac.
Des attaques qui se multiplient donc, sur le bassin, éloignant l’idée d’une neutralisation prochaine du groupe armé, et ce malgré l’intensification de la lutte de la part de la Force mixte multinationale (FMM) qui totalise plus de 10 mille hommes issus du Nigéria, du Tchad, du Cameroun, du Niger et du Bénin.
Car en effet, si Boko Haram est en apparence sur la défensive, il n’a pas été vaincu pour autant, et « ses tactiques et son extension géographique rendent peu probable une défaite globale du groupe », note un rapport de l’ONG Internationale Crisis Group, daté du 4 mai 2016.
« Les attaques actuelles semblent relever moins d’une stratégie militaire que du besoin de dégager des ressources et d’envoyer un message violent prouvant sa survie », souligne le rapport qui précise que ces attaques « ciblent de plus en plus des proies faciles ».
D’ailleurs, en témoigne l’évolution des attaques au fil du temps, poursuit Crisis Group.
[i « Dans un premier temps, les membres de Boko Haram ont attaqué des individus “stratégiques” (dignitaires locaux, fonctionnaires, chefs traditionnels, imams, commerçants qui refusaient de coopérer et déserteurs)».
« Par la suite, ils ont fait usage d’une violence plus massive à l’encontre de certaines communautés, notamment celles qui ont formé des groupes d’autodéfense tels les Civilian Joint Task Forces (CJTF) au Nigéria ou les comités de vigilance, comme on les appelle au Cameroun et au Tchad », ajoute le document.
« Leur colère semble désormais se diriger contre tous ceux qui ne les soutiennent pas, y compris les communautés dont ils ont perdu le contrôle. En agissant de la sorte, ils mettent sans doute un peu plus à mal le peu d’attrait qu’ils exercent encore sur certaines franges de la population locale », poursuit le texte.
« A chaque fois que Boko Haram se sent affaibli, il change de stratégie », confirme le Général Bouba Dobekreo commandant du premier secteur de la Force Mixte Multinationale.
« Au début de la guerre, les membres de la secte menaient une guerre frontale contre nos armées. Affaiblis d’un point de vue logistique, ils ont opté pour les attentats kamikazes au Nigeria, tout comme au Cameroun et au Tchad », poursuit le Général Bouba.
La destruction des usines artisanales de production d’explosifs de Boko Haram entre le 11 et 12 février 2016 à Ngoshe au Nigeria, a privé le groupe terroriste d’une importante base logistique.
La bataille de Kumshe, du 23 au 24 février 2016, à Ngoshe au Nigeria, menée par le secteur n°1 de la FMM, appuyé par les forces spéciales «Alpha» et «Emergence 3» de l’armée camerounaise, a infligé de nombreuses pertes en vie humaine et matérielles (notamment des chars de combat), à Boko Haram.
Particulièrement “frustré”, le groupe terroriste s’est alors lancé dans des attaques «motorisées», poursuit le commandant.
« Depuis février 2016, les attaques enregistrées ici dans le Mayo Sava (Extrême Nord du Cameroun) sont menées par des petits groupes qui arrivent à bord de motocyclettes et parfois à vélos », explique le préfet du département du Mayo Sava, Babila Akaou.
La zone du Lac Tchad qui est entourée des eaux, a également poussé le groupe terroriste à acquérir des pirogues ce qui explique les attaques contre les pêcheurs, note le géo-stratège camerounais Honoré Eboa.
« La zone du Lac Tchad regroupe plusieurs petites îles où les assaillants peuvent facilement se cacher. C’est également une zone riche en poisson, un peu l’eldorado des pécheurs » explique-t-il, ajoutant que c’est « justement pour cette raison que Boko Haram s’en prend à eux ».
« Les membres de Boko Haram récupèrent les recettes des pêcheurs puis les tuent », dit-il.
Aujourd’hui, alors que la bataille fait rage, et que la Force détruit les ressources matérielles de Boko Haram, ce dernier « cherche, plus que jamais, de quoi financer ses activités, quitte à massacrer tout ce qui se trouvera sur sa route », conclut le géostratège.
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