Le secrétaire exécutif du G5 Sahel, M. Maman Sambo Sidikou, a indiqué que le Sommet de Nouakchott, qui se tient dans un contexte si préoccupant, constitue donc un moment propice pour les Chefs d’État de démontrer leur ferme résolution à maintenir le cap, envers et contre tout, vers la consolidation de la mise en œuvre des conclusions du Sommet de Pau.
Il a ajouté, dans une interview exclusive avec Horizons, que la conjoncture actuelle est marquée par la montée en gamme du G5 Sahel, âgé de six ans, considérant que le dispositif institutionnel de celui-ci s’est stabilisé, que les opérations sont en cours et que les réalisations ont d’ores et déjà débuté. Voici cette interview dans son intégralité :
Horizons : Nouakchott abritera fin juin un sommet du G5 Sahel, qui intervient dans une conjoncture particulière. Globalement, qu’attendez-vous de ce sommet ?
Le secrétaire exécutif du G5 Sahel : le G5 SAHEL est une organisation de cinq États membres représentant 80 millions d’habitants répartis sur 5 millions de kilomètres carrés.
Le Sommet est l’instance politique la plus élevée qui permet aux Chefs d’État de définir les priorités de l’institution. Sa dernière session ordinaire s’est tenue à Nouakchott (25 février) et a coïncidé avec le début de la présidence annuelle de la Mauritanie. La conjoncture actuelle est marquée par la montée en gamme de notre organisation âgée de six ans. Notre dispositif institutionnel s’est stabilisé, les opérations sont en cours et les réalisations ont débuté.
En matière de sécurité, il repose notamment sur la Force Conjointe, initiative sans précédent coordonnant les bataillons des cinq Etats membres. Depuis 2017, elle a mené 21 opérations dans les zones frontalières situées à l’Ouest (Mauritanie/Mali), au Centre (Mali/Burkina Faso/Niger) et à l’Est (Niger/Tchad) de l’espace du G5 Sahel.
Pour ce qui concerne le développement, il s’organise autour de la mise en œuvre du Programme d’Investissements Prioritaires (PIP). Adopté en 2018, il s’échelonne entre 2019 et 2021 et cible quatre priorités thématiques : défense et sécurité, gouvernance, résilience et infrastructures. Une importante partie de nos efforts actuels vise à réaliser cette ambition tout en tenant compte du contexte sans précédent créé par la crise de la COVID 19.
Nous attendons donc du Sommet qu’il conforte la montée en gamme de l’organisation sur les deux volets de son mandat : la sécurité et le développement.
Le sommet prévu le 30 juin à Nouakchott, réunissant les Chefs d’État du G5 Sahel plus celui de la France, fait suite aux conclusions issues du Sommet de Pau de janvier dernier. Il intervient moins de trois semaines après la rencontre ministérielle des membres de la communauté internationale souhaitant participer à la « Coalition pour le Sahel » qui se veut un cadre nouveau, plus cohérent et plus efficace d’appui des partenaires au G5 Sahel.
C’était justement l’une des recommandations du Sommet de Pau.
Alors que le monde entier subit depuis quelques mois les conséquences multidimensionnelles de la pandémie du Covid-19, force est de constater que cette nouvelle donne rend la situation autrement plus difficile pour l’espace G5 Sahel en particulier, eu égard aux énormes problèmes sécuritaires et socioéconomiques déjà existants et dont l’acuité s’est notablement accrue avec l’apparition de la Covid-19.
Le Sommet de Nouakchott, dans ce contexte si préoccupant, constitue donc un moment propice pour nos Chefs d’État de démontrer leur ferme résolution à maintenir le cap, envers et contre tout, vers la consolidation de la mise en œuvre des conclusions du Sommet de Pau.
Horizons : Certains observateurs laissent entendre que la relation entre le G5 Sahel et ses partenaires n’a pas
toujours abouti au résultat souhaité. Pensez-vous que ce sommet pourra marquer un nouveau pas vers un partenariat plus fructueux ?
Le secrétaire exécutif du G5 Sahel : Il importe en premier lieu de souligner les efforts considérables consentis par les Etats membres et leurs citoyens. Les efforts exceptionnels réalisés pour riposter à la déstabilisation dont souffre nos Etats ont atteint jusqu’à 30% du budget de certains gouvernements. C’est considérable et sans précédent. Les partenaires des Etats membres ont soutenu l’organisation qu’ils ont créée chacun à sa façon et selon des modalités diverses.
Le Secrétariat Exécutif, qui a la responsabilité de coordonner la mise en œuvre des décisions des Chefs d’Etat, entretient des relations avec une vingtaine de « partenaires ». En six ans, la situation du Sahel et du reste du monde a changé alors que notre institution prenait forme. Nous avons en effet observé que des mécanismes conçus par certains bailleurs ont produit des résultats plutôt modestes. Nous savons également que certaines modalités de notre coopération gagneraient à être améliorées. Cependant, le plus important reste pour nous la capacité à changer les conditions de vie des Sahéliens de façon rapide et tangible.
C’est une oeuvre difficile qui demande patience, méthode et endurance et dont la responsabilité nous incombe.
Horizons : l’argent, est incontestablement le nerf de la guerre, dit-on. Au moment où l’on fonde un grand espoir sur la force conjointe créée dernièrement et pour qu’elle soit efficace, les 5 pays réclament un soutien financier de la part de la communauté internationale. Où en est-on ?
Le secrétaire exécutif du G5 Sahel : La réussite d’une stratégie se juge à sa qualité et aux ressources dont on dispose pour la mettre en œuvre. A cet effet, et pour ne parler que de Nouakchott, où nous nous trouvons, le G5 SAHEL y forme les officiers de la Force Conjointe et dispose d’un mécanisme de financement propre (un Fonds fiduciaire) dont les ressources sont au sein de la Banque Centrale de Mauritanie.
Il a été financé à hauteur d’environ19 millions US par des bailleurs africains (CEDEAO, Rwanda, UEMOA) et asiatiques (Émirats Arabes Unis, Turquie). Actuellement, il a urgemment besoin de financement additionnel pour permettre à la Force Conjointe de continuer à mener ses opérations et protéger les civils.
La Chine nous soutient par le biais de l’Union Africaine.
La Force Conjointe complète le dispositif de sécurité des Etats membres (lequel inclue des forces de sécurité et défense nationales et internationales).
Les bailleurs de fonds appuient en priorité les Etats et le G5 SAHEL – leur concours est le fait d’États (États Unis d’Amérique, France) ou d’organisations (ONU, Union européenne). Ils conviennent tous qu’ils peuvent faire plus ou – mieux – et nous travaillons afin que leurs promesses se traduisent en actions permettant à notre organisation d’atteindre ses objectifs en matière de stabilité et de prospérité partagée.
Horizons : le problème sécuritaire au Sahel ne peut pas se résoudre uniquement par des moyens militaires. L’enjeu est de créer au plus vite un développement pouvant générer des emplois pour les jeunes sahéliens désespérés par le manque de ressources et l’absence de perspectives d’insertion économique et sociale. Y a-t-il des projets déjà définis dans ce cadre ?
Le secrétaire exécutif du G5 Sahel : l’œuvre du G5 SAHEL s’inscrit dans notre « Stratégie pour le Développement et la Sécurité. Permettez-moi de la citer, elle a « pour objectif global de contribuer par des actions régionales à assurer le bien-être socio-économique des populations de l’espace du G5 Sahel (…). Il s’agit de manière spécifique : de renforcer la sécurité des personnes et des biens des pays membres du G5 Sahel ; d’œuvrer pour le désenclavement des pays membres, en priorité les zones transfrontalières; de promouvoir la bonne gouvernance, socle de la paix, de la stabilité et du développement ».
Sa mise en œuvre s’effectue au moyen du Programme d’Investissements Prioritaires (PIP), dont a été extrait un Programme de Développement d’Urgence (PDU). Ce dernier compte des projets organisés autour de 3 piliers (aménagement d’ouvrages d’accès à l’eau ; renforcement de la résilience des populations vulnérables, et renforcement de la cohésion sociale).
Je ne citerai ici qu’un échantillon de projets pour vous donner un aperçu de notre bilan.
En matière de routes, nous sommes parvenus à lever des fonds (323 millions de dollars US) pour les cinq États auprès de la Banque Arabe pour le Développement Économique en Afrique (BADEA). A ce jour, en Mauritanie, cela se traduira par la construction et le bitumage de la route Tidjikja – Kiffa-Kankossa – Sélibaby – Frontière du Mali.
Dans le domaine de l’économie pastorale et la santé des populations (résidentes, déplacées et réfugiées), avec le financement de l’Union économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), nous soutenons une initiative pilote de coopération transfrontalière entre les municipalités des régions du Sahel (Burkina Faso), de Tombouctou (Mali) et de Tillabéri (Niger).
L’intervention (1 milliard de FCFA) cible une région qui abrite 30 % du cheptel des trois pays et compte 5,5 millions d’habitants.
Au Tchad, une initiative se met en place avec l’Organisation Arabe pour le Développement Agricole (OADA) et sur financement de la BADEA (500 000 USD), un projet pour soutenir les initiatives économiques de jeunes et de femmes dans les domaines de l’agriculture et de l’élevage.
Nos interventions privilégient le recours aux collectivités territoriales, aux acteurs de la société civile et aux entreprises sahéliennes car elles disposent d’une précieuse expérience et de compétences insoupçonnées.
Horizons – l’éradication des germes du terrorisme dans la zone du Sahel est le premier objectif du G5 Sahel alors qu’on assiste actuellement à une recrudescence des actes terroristes. A quel niveau en est-on de cet objectif ?
Le secrétaire exécutif du G5 Sahel : il faut d’abord saluer la Déclaration de Nouakchott (23 janvier 2020), adoptée sous l’inspiration de leaders religieux. Leur rôle est fondamental afin que nous trouvions les ressources morales et spirituelles requises pour promouvoir la tolérance et la cohésion sociale.
Des efforts sont en cours pour prévenir les progrès de la radicalisation. Cette Déclaration de Nouakchott fait écho à une autre dite Déclaration de Niamey faite par les Ministres en charge des Affaires religieuses des pays du G5 Sahel (14 mai 2015). Cette Déclaration contient 15 recommandations pour prévenir la radicalisation et l’extrémisme violent que nous mettons en œuvre à travers la Cellule Régionale de Prévention de la Radicalisation et de l’Extrémisme violent (CELLRAD) mise en place depuis janvier 2016. Elle a, à son actif, une série d’actions parmi lesquels:
- Un Manuel de bonnes pratiques de résilience à la radicalisation et à l’extrémisme violent destiné aux communautés affectées par la crise.
- Un Lexique de la radicalisation en 6 langues (français, arabe, Pulaar, Bambara, Mooré, Haoussa) qui a pour but de promouvoir des concepts non stigmatisant à l’égard de nos religions, de nos communautés, etc.
Cependant, l’actualité rappelle que la situation sécuritaire reste marquée par une violence dont le principal objectif est de saper la légitimité et la capacité des Etats à accomplir leurs missions.
Fulgurantes et furtives, les attaques sporadiques sont un défi permanent au déploiement des forces de défense et de sécurité et de leurs alliés.
Elles sont une hantise pour des millions de citoyens qu’ils soient résidents, déplacés ou réfugiés.
Cette guerre asymétrique ne doit pas s’accompagner d’un relâchement de la discipline militaire ou policière.
C’est pourquoi le G5 SAHEL a doté sa Force Conjointe d’un cadre de conformité visant à garantir le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
Des efforts sont déployés pour traduire cette volonté politique en actes. Nous devons et nous allons les poursuivre, afin de démontrer que cette initiative contribue à la « reconquêtes des esprits et des cœurs».
Horizons : quelles sont les perspectives pour cet ensemble qui, selon beaucoup d’experts, constitue un élément stratégique dans le cadre de la lutte contre toutes les formes de crimes transfrontaliers ?
Le secrétaire exécutif du G5 Sahel : les perspectives sont au nombre de trois : formation, coordination et communication. C’est la raison pour laquelle la composante «police» de notre action dans le domaine de la sécurité est si importante.
Pour ce faire, avec les institutions de police des Etats membres et le soutien de nos partenaires (Allemagne, Interpol, ONUDC) nous nous investissons afin que les agents disposent des outils et des attitudes requises pour lutter contre des criminels sans foi ni loi. Ces derniers sont souvent bien financés et se jouent des frontières ; il convient donc de présenter un front uni entre les pays du G5 SAHEL ainsi qu’avec les Etats voisins et plus lointains. C’est pourquoi la coordination est fondamentale autour de standards, de données et d’interventions communes. Nous y travaillons à travers la Plateforme de Coordination en matière de sécurité (PCMS) ainsi qu’avec l’opérationnalisation en cours du Centre de fusion des renseignements à Niamey.
Enfin, il faut que la communication soit plus fine, qu’elle se traduise par une confiance accrue aux frontières. Là où l’administration est peu présente ou insuffisamment dotée en ressources (humaines, logistiques et financières),
le renseignement repose avant tout sur la conviction des populations que les policiers ou les gendarmes les protègent. Il y a fort à faire dans ce domaine ; nous débutons par l’organisation de rencontres entre policiers de part et d’autre des frontières avec les autorités administratives, les représentants du secteur privé et les autres habitants des zones concernées.
C’est un pas dans la bonne direction, et c’est surtout un travail dont la réussite dépendra de nos efforts et de la qualité de la coopération entre citoyens et institutions ainsi qu’entre in-membres.
Horizons : la marche du G5 Sahel a-t-elle été impactée par la COVID-19 ? Quelles mesures ont-elles été prises à ce sujet ?
Le secrétaire exécutif du G5 Sahel : comme le reste du monde, depuis le début de la pandémie du COVID 19, le Sahel connaît une situation sans précédent. D’ores et déjà, nos pays et leurs citoyens sont à pied d’œuvre pour
répondre à la pandémie. La société civile a développé des trésors d’organisation et de mobilisation pour contribuer aux efforts de prévention des pouvoirs publics. Les autorités morales ont apporté leur concours à l’effort collectif : ainsi, dans la zone des trois frontières, l’émir du Liptako a publié un appel à une trêve humanitaire. Les chercheurs ont initié des essais cliniques pour évaluer l’efficacité d’un médicament à base de plantes nommé Apivirine.
Le secteur du textile a débuté la production de masques pour faciliter l’application des mesures prises par les pouvoirs publics. Cependant, au quotidien, les conséquences socioéconomiques de la pandémie affectent nos compatriotes sahéliens.
La mise en œuvre de certaines mesures de prévention s’est adaptée à notre environnement naturel. Par exemple, le confinement est inconcevable pour un éleveur dont la survie du cheptel repose sur une mobilité structurelle pour l’abreuvage, la recherche de pâturage ou le cycle de la transhumance.
La situation du Sahel est singulière car la crise survient alors que nos ressources sont fort sollicitées par la péjoration climatique, la situation sécuritaire et la chute des cours de certaines de nos matières premières. Il nous faut donc apprendre à « faire plus » avec des ressources amoindries.
J’ai brossé ce paysage pour mettre en perspective la riposte du G5 SAHEL, qui s’est manifestée à trois niveaux : coordination, communication et interventions.
Les Chefs d’Etat du G5 SAHEL se sont concertés et ont appelé à l’annulation de la dette dont le remboursement du service s’effectuerait au péril de la survie des Sahéliens les plus vulnérables.
Le Président du Conseil des Ministres a attiré l’attention de ses pairs sur la prise en compte du volet socio-économique de la riposte de santé publique et sur la nécessaire coordination de leurs interventions.
Il a, par ailleurs, invité les partenaires du G5 Sahel à soutenir les Plans de riposte élaborés par les pays membres du G5 Sahel.
Le Secrétariat Exécutif a mis sur pied une Task force qui produit une mise à jour quotidienne de la riposte des Etats à la pandémie. Elle est partagée à travers toute la région et au-delà.
En outre, grâce aux conférences téléphoniques, aux vidéoconférences et à la large distribution d’une revue de presse journalière des principaux médias de nos cinq pays, nous garantissons le partage de l’information afin de continuer à travailler sans voyager.
Enfin, en plus de l’assistance directe aux pays par nos partenaires du groupe de l’Alliance Sahel, notre partenariat avec la Banque Africaine de Développement la banque de nos Etats membres et l’ONU s’est traduit par la conception d’une intervention sans précédent.
Pour répondre à la demande des Etats membres, nous avons mobilisé, avec la BAD, un financement de 21,8 millions de dollars US. La mise en œuvre du projet y relatif s’appuiera sur les compétences logistiques du HCR et l’expertise du réseau Biosureté du G5 SAHEL. Le Secrétariat Exécutif accompagne cette dynamique, confiant en notre capacité à triompher de cette épreuve en coopération avec nos partenaires, car cette pandémie est un défi posé à la gouvernance mondiale.
Source: Horizons (Agence Mauritanienne d’Information).