Attaque de Bosso, lutte contre Boko Haram, coopération régionale, crise libyenne, réfugiés… Le ministre des Affaires étrangères nigérien, Ibrahim Yacouba, est de tous les fronts diplomatiques ces dernières semaines. Il répond aux questions de Jeune Afrique.
Le 3 juin dernier, le Niger subissait, à Bosso, une attaque particulièrement sanglante de la part de Boko Haram. Si 2000 soldats tchadiens ont été envoyés par Idriss Déby Itno en renfort, jeudi 9 juin, cette offensive met en lumière les faiblesses de l’armée nigérienne et de la force multinationale mixte.
D’autant que le pays est également confronté aux crises libyenne et malienne et qu’il est le principal pays de transit pour les réfugiés de la sous-région qui pourraient être entre 130 000 et 160 000 en 2016. Ibrahim Yacouba, nouveau ministre des Affaires étrangères nigérien, répond, entre Rome, Istanbul, Niamey, Paris et New York, aux questions de Jeune Afrique sur ces différents sujets.
Jeune Afrique : Le Niger vient de subir une attaque de grande envergure à Bosso. Cela révèle-t-il la faiblesse de l’armée nigérienne et de la force multinationale mixte ?
Ibrahim Yacouba : Non, nous avons beaucoup affaibli Boko Haram depuis que nous sommes entrés en guerre. Le groupe est aujourd’hui incapable d’occuper une quelconque partie du territoire et s’est retranché essentiellement dans la forêt de Sambisa. Mais l’ennemi, même affaibli, n’est pas mort et est capable de porter des coups durs à nos États. C’est pour cela que le président Mahamadou Issoufou s’est rendu au Tchad juste après l’attaque de Bosse afin de discuter des conditions d’amélioration de la force régionale.
Elle est aujourd’hui très efficace et a surtout beaucoup progressé. Tous les organes de décision ont été mis en place en matière d’opération et de renseignement, même si cela a pris du temps. Bien sûr, il faut aller plus loin et être encore meilleur, mais la coopération est bonne en particulier au niveau du renseignement. Notre engagement restera de combattre les terroristes partout quel qu’en soit le prix. Nous connaissons le coût de la guerre et nous avons choisi de l’assumer.
Comment expliquer une telle attaque surprise par plusieurs centaines de combattants ?
Je crois que nous avons sous-estimé le fait que Boko Haram ait continué de recruter, même si le groupe est retranché dans un petit territoire. De plus, je soupçonne qu’il ait été aidé par l’État islamique car il semble devenu plus professionnel et mieux formé militairement.
Certaines sources ont parlé de cellules dormantes.
Oui, c’est lié à l’organisation de Boko Haram. Beaucoup de leurs combattants viennent de ces zones frontalières, de ces villages, donc il est évidemment possible qu’ils aient des hommes infiltrés. Mais il faut bien comprendre que cela ne veut pas dire qu’il y a une quelconque adhésion de la population. Aujourd’hui, Boko Haram est totalement rejeté par les Nigériens, grâce auxquels nous avons remporté nos plus grands succès sur les terroristes.
L’avenir le plus évident au sein du groupe, c’est d’y mourir.
Il y avait pourtant de nombreux Nigériens parmi les assaillants de Bosso…
C’est une proportion marginale de jeunes qui sont fascinés par la violence ou ont été attirés par l’appât du gain. Pendant un temps, il a été « confortable » financièrement d’être dans Boko Haram. Mais aujourd’hui, depuis que nos forces se sont coalisées, l’avenir le plus évident au sein du groupe, c’est d’y mourir.
Le Niger est également en première ligne plus au Nord, à la frontière libyenne. Comment comptez-vous agir dans la résolution de cette crise ?
En 2011, lors de la chute de Mouammar Kadhafi, Mahamadou Issoufou avait mis en garde contre une solution pire que le mal qui détruirait l’État libyen. C’est ce qu’il s’est passé et cela a permis au terrorisme et à tous les trafics de se développer. Vu ce constat, nous soutenons évidemment pleinement le gouvernement d’union nationale du Premier ministre Fayez al-Sarraj. Nous devons faire en sorte que l’État libyen soit présent partout et éviter l’existence d’enclaves favorisant l’éclosion de foyers terroristes. Il faut lui en donner les moyens.
Des moyens militaires ?
Il faut soutenir toute action nécessaire pour permettre à ce gouvernement de combattre le terrorisme.
Y compris une intervention armée internationale ?
Éventuellement, si elle s’organise à la demande du gouvernement libyen et sous la forme qu’il aura définie. Ce qui n’est pas souhaitable, c’est une intervention unilatérale sans consulter le gouvernement et les pays voisins de la Libye.
Souhaitez-vous également une action plus offensive au nord du Mali ?
Oui, car aujourd’hui la Minusma n’a pas le mandat approprié. J’entends dire qu’on pourrait la renforcer, mais ce n’est pas une question d’hommes ou de matériel, c’est une question de cadre. Nous voulons sortir du maintien de la paix et faire en sorte que les hommes de la Minusma aillent se battre contre les terroristes. La communauté internationale doit donner un mandat offensif à la Minusma ou alors soutenir le G5 Sahel, afin qu’il mette en place une force régionale comme nous l’avons fait face à Boko Haram.
SOURCE JA