Lors du 10ème Comité de Pilotage de l’Alliance Sahel, Mme Diyé Ba, Coordinatrice de la plateforme des femmes du G5 Sahel, est intervenue au sein du panel de discussion « Femmes et résilience au Sahel ». Ancienne ministre et parlementaire en Mauritanie, membre de plusieurs réseaux qui militent pour la démocratie, l’état de droit et la promotion des femmes, nous l’avons rencontrée en marge de la réunion à Bruxelles afin de recueillir son témoignage concernant l’évolution de la condition et des droits de la femme au sein de l’espace sahélien.
Pour Mme Diyé Ba, les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes au Sahel sont nombreuses et exacerbées par la crise qui frappe la région. Le principal défi est celui de l’accès à l’éducation. Aujourd’hui, beaucoup d’écoles sont fermées et les filles sont les premières touchées, or « c’est par l’éducation qu’on peut évoluer et c’est le moyen le plus fiable de permettre aux enfants de développer leur potentiel, de sortir de la pauvreté, de se créer de meilleures opportunités pour l’avenir ».
La crise a accentué les violences faites aux femmes, aussi bien dans le milieu domestique que public. Malgré l’existence de lois, les coutumes restreignent souvent l’application du droit. Selon Mme Diyé Ba, les concepts de he for she et de masculinité positive pourraient aider. Les femmes sont également touchées par les difficultés d’accès aux services sociaux de base, qui entraînent un faible taux de scolarisation des filles et un taux élevé de mortalité maternelle et infantile, ainsi que par les inégalités économiques. Le faible accès des femmes aux ressources, comme la terre et le capital, entraîne une forte dépendance des femmes, en particulier de celles qui sont chefs de ménage.
Mme Diyé Ba reconnaît que la participation des femmes à la vie politique a progressé dans certains pays, surtout au niveau des parlements, mais celle-ci reste très faible et ne leur permet pas d’avoir un réel impact sur les prises de décision:
Tant que nous resterons entre femmes en train de poser les problèmes en tant que femme, la solution ne sera pas facile parce que nous ne représentons pas, par exemple au sein des Parlements, une masse critique qui peut faire évoluer les choses. Il faudrait que nos hommes nous accompagnent. »
Au niveau de la plateforme des femmes du G5 Sahel, des activités sont menées pour renforcer le rôle des femmes, par exemple, via la formation de femmes leaders dans leur communauté qui aident, en particulier dans les zones de conflits, à identifier les besoins réels des femmes.
La communauté internationale a elle aussi un rôle à jouer en veillant à ce que dans chaque mission de médiation, il y ait au moins une femme car « cela suscite l’espoir chez les femmes des zones en conflit. L’espoir c’est: nous avons un mot à dire, nous pouvons parler ! »
Panel de discussion « Femmes et résilience au Sahel », avec de gauche à droite: Princesse Esther Kamatari (Foundation Princesse Esther Kamatari), Mme Aissatou Dosso, Spécialiste Genre à la Banque africaine de Développement, et Mme Diyé Ba, coordinatrice de la Plateforme des femmes du G5 Sahel.
A propos de l’engagement des femmes dans l’entrepreneuriat, Mme Diyé Ba relève deux freins principaux: l’accès aux financements et le manque de formation. Certes, des financements et des fonds existent (notamment via les banques) mais ceux-ci ne sont pas adaptés à la situation réelle des femmes, ce qui en limite donc l’accès. La microfinance, de plus en plus développée dans les pays du Sahel, n’est selon elle pas suffisante car les fonds alloués sont dérisoires et ne tiennent pas compte du vécu des femmes.
Pour augmenter l’impact de l’aide apportée par les membres de l’Alliance Sahel, Mme Diyé Ba pense qu’il faudrait appuyer davantage les femmes à travers des projets bien ciblés et adaptés à leurs besoins, « un investissement qui sera stratégique car l’appui aux femmes bénéficie aux enfants et à l’ensemble des membres du ménage ». Pour augmenter l’impact de l’aide, il faudrait également agir prioritairement au niveau normatif, en appuyant les États dans la mise en œuvre des instruments légaux en rapport avec les droits des femmes. Elle pense qu’il faut continuer à appuyer les programmes d’infrastructure sociale, car les femmes en sont les premières utilisatrices. Les conflits ne peuvent pas être un frein.
On ne peut pas attendre le retour de la paix pour éduquer les enfants. Il faut qu’on trouve des formes alternatives sinon ce sont des générations perdues, c’est nos pays qui sont perdus parce que c’est la relève de demain ».
Mme Diyé Ba plaide également pour le financement d’un secrétariat permanent de la plateforme des femmes du G5 Sahel pour assurer la continuité et la pérennité des actions.
Pour conclure, Mme Diyé Ba salue la résilience des femmes de la région et le rôle qu’elles jouent pour façonner les espaces sociaux, politiques et économiques de manière à induire un changement positif:
Les femmes du Sahel contribuent depuis longtemps à la consolidation de la paix, à résolution des conflits et au développement de leur société. Quand on dit que la femme est agent de changement, ce n’est pas un slogan au niveau du Sahel! ».
La multiplication des initiatives liées au genre, aux femmes et aux filles encourage la dynamique dans laquelle les femmes étaient déjà inscrites et pourrait à terme avoir un impact positif dans la société. Malgré les crises, les femmes sont mobilisées et la population a pris conscience que cette situation doit changer.
Propos recueillis par Noëlle Rodembourg
Crédit photos: Aude Rossignol/Alliance Sahel